J’ai rencontré Julie dans son atelier de travail à Uccle, un jour de tempête. Hey Jude Design est un projet qu’elle qualifie d’art textile décoratif. Du coton au lin, elle recycle des matières oubliées dans des grandes maisons de productions textiles pour en faire des œuvres uniques. Brutes et organiques, les œuvres de Julie s’inspirent de ses voyages et de la végétation qu’elle y rencontre.

Hello Julie, comment vas-tu ? Raconte-moi un peu ton parcours.

JULIE DENIS – Hello ! Alors moi je suis Bruxelloise. J’ai d’abord fait une formation en stylisme à Bischoffsheim. J’ai toujours voulu travailler dans un domaine artistique. Ma mère est également dans le textile, j’ai donc vécu avec une machine à coudre et du tissu autour de moi dans la maison depuis mon enfance, donc je pense que c’était un peu évident.

En sortant de Bischoffsheim, j’ai fait des stages, j’ai travaillé avec Tony Delcampe, mais je ne me voyais pas vraiment travailler dans ce milieu. Je me suis rendu compte après mes expériences que ce que j’aimais, c’était le textile plus que le vêtement en tant que tel et j’ai donc repris des études aux Beaux-Arts.

Dès mon entrée aux Beaux-Arts, je me suis retrouvée passionnée par le tissage.

Qu’as-tu fait après les Beaux-Arts ? 

JULIE DENIS – J’ai travaillé dans différents domaines, comme assistante styliste, visuel merchandiser, Community manager. J’ai également créé une marque de doudous personnalisés pour enfants. J’adore le début d’un projet : la créativité, chercher les matières et les couleurs, effectuer des recherches de style. Par la suite, j’ai du accepter que le projet n’était pas réellement rentable et qu’en Belgique, il n’y a pas le public pour ça. Les parents n’étaient pas prêts à mettre un tel budget dans un produit personnalisé et ne s’apercevait pas des détails sur lesquels j’aimais travailler. Progressivement, j’ai du éliminer ces « détails superflus », mais c’était tout ce que j’aimais. Aujourd’hui, ce n’est plus mon activité principale mais j’accepte encore le sur-mesure via le bouche-à-oreille et je reprends du plaisir à le faire. C’est la même chose avec les robes de mariées sur-mesure – une des seules activités que j’ai gardé du stylisme. Je n’accepte que deux ou trois projets par an, sur lesquels je travaille avec ma maman. Ça ne m’étouffe pas et ça reste du pur plaisir.

Comment en es-tu arrivée à faire de la décoration textile ton activité à temps plein ?

JULIE DENIS – En parallèle de tout ça, j’ai toujours continué à faire des manipulations textiles. C’est quelque chose que j’ai toujours aimé, juste prendre les choses entre mes mains, et réfléchir à ce que l’on peut faire avec.

En 2019, je suis allée rejoindre mon meilleur ami à Madrid pour pendant plusieurs mois pour prendre du recul. Je suis ensuite rentrée en Belgique avec l’idée de m’installer en Espagne et d’organiser mon déménagement, mais le confinement est arrivé et je n’ai pas pu partir. Ce temps de pause m’a permis de me consacrer à l’expérimentation. A la sortie du confinement j’ai repris un travail alimentaire à Bruxelles qui m’a épuisée. J’ai finalement quitté mon travail et c’est comme ça que j’ai pu me consacrer à 100% à ce que je fais aujourd’hui. Quand tu travailles 4 jours par semaine, c’est difficile de trouver le temps et l’énergie à consacrer à un projet comme celui-ci. Mais je remarque l’ampleur que ça a pris en si peu de temps et je constate à quel point je me suis épanouie dans ce milieu.

« Quand tu travailles 4 jours par semaine, c’est difficile de trouver le temps et l’énergie à consacrer à un projet comme celui-ci. Mais je remarque l’ampleur que ça a pris en si peu de temps et je constate à quel point je me suis épanouie dans ce milieu. »

Et pourquoi choisir le terme « décoration textile » ? Pourquoi pas un autre ? 

JULIE DENIS – J’ai longtemps cherché à définir ce que je faisais. Tapisserie, c’est un mot à connotation désuète. On pourrait parler de « tapisserie contemporaine », mais les gens ont du mal à s’imaginer de quoi il s’agit. Je voulais un terme qui puisse combiner l’idée d’art et de décoration. Même si pour certaines personnes, l’art et le décoratif sont deux notions qui ne vont pas ensemble, pour moi c’est tout à fait compatible. En anglais, on parle de « wall art », mais il n’existe pas d’équivalent en français (l’art de décorer les murs, c’est un peu long). L’art textile décoratif me paraissait être le terme parfait qui ne met pas de limite. Je ne voulais pas m’arrêter à créer des œuvres qui vont uniquement sur les murs : j’aimerais bien faire des coussins, pourquoi pas des fauteuils.

Quelle est ta démarche artistique ?

JULIE DENIS – J’ai deux démarches différentes. Une collection « coton » pour laquelle je collabore avec une société italienne. Il s’agit de fil que j’achète, mais ça me laisse plus de choix dans les couleurs et c’est idéal pour répondre aux projets clients et créer un projet totalement sur-mesure.

Une collection « lin », consacrée à la revalorisation textile. Même si j’adore travailler avec le coton, ce que je fais consomme énormément de matière et écologiquement on sait combien le textile fait de dégâts. Je voulais travailler une matière qui vienne de chez nous. Près de Courtrai, il y a une grosse production de lin et beaucoup d’entreprises de production textile.

Je travaille avec Libeco, une des plus grandes références pour le lin ici en Belgique. Je fais de la récupération de leurs déchets textiles. Tous les trois ou quatre mois, je me rends dans leur entreprise pour récupérer ce qu’ils mettent dans des gros bacs et qu’ils ne vont pas utiliser. Je récupère du fil, du tissu mais aussi des lisières – les bords frangés des tissus qui sont coupés avant que le tissu ne soit mis en vente. Je les brosse, parfois je les teint, et je vais en faire une nouvelle pièce. C’est un travail plus personnel, une adaptation de ce que je récupère – je ne sais jamais sur quoi je vais tomber. Ces pièces seront plutôt exposées et mises en vente telles quelles.

De nouvelles pièces de récupération en soie arrivent à la rentrée en collaboration avec une nouvelle filature italienne. Une recherche plus légère sur la finesse et la délicatesse.

De quoi t’inspires-tu pour la création de tes projets ?

JULIE DENIS – Je m’inspire beaucoup de mes voyages et de la nature. J’aime bien faire de la photo et mon père lui-même est photographe – j’utilise parfois ses photos pour m’inspirer. C’est important pour moi de m’imprégner d’un endroit pour pouvoir le retranscrire. Je m’inspire de lieux où je suis allée, de la végétation, de l’image, du toucher, du son. Je collecte des images qui m’inspirent et j’essaie de retranscrire cette émotion.

C’est presque le même processus que celui d’un photographe. Tu collectes des images pour donner une idée de l’ambiance, des lumières, des couleurs.

JULIE DENIS – C’est ça, mais je collectionne déjà dans la vie de tous les jours. Je ramène des souvenirs de partout où je me rends. Chez moi presque tous les objets ou les meubles ont une histoire. C’est indispensable pour moi d’avoir des objets qui ont du sens, et c’est la même chose dans mon processus de création.

La création c’est une évasion, un moment où tu acceptes ta solitude, même si ce n’est pas dans ton tempérament.

Quelles sont tes ambitions futures pour Hey Jude Design ?

JULIE DENIS – Je voudrais continuer à développer le projet ici et à l’étranger et continuer à faire de la récupération de matières d’usines belges et européennes. 

J’ai plein de projets à venir, notamment un contrat avec une galerie de Madrid pour la représentation de certaines de mes pièces, une performance de tissage en direct avec la galerie Trenzar à Bruxelles et bien d’autres.

Quelle est la chose que tu as apprise récemment que tu aimerais partager ?

JULIE DENIS – J’ai appris à m’écouter et à m’épanouir en choisissant de travailler sur des projets portés par une réelle connexion.

Qu’est-ce qui te nourrit le plus dans ton activité aujourd’hui ?

JULIE DENIS – Juste le fait de faire quelque chose de passionnant et d’oser me mettre à nu dans mes projets actuels.

Est-ce que tu peux me recommander un artiste/un artisan bruxellois ?

JULIE DENIS – Sahar Saadaoui et Elise Péroi, deux anciennes des Beaux-Arts dont j’admire le travail.

Pour découvrir le travail de Hey Jude Design, rendez-vous SUR SON SITE

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