Tiers Paysage est un projet porté à bras-le-corps par Cécile Gilquin, productrice de fleurs comestibles, plantes aromatiques & médicinales cultivées avec passion & récoltées à la main à Linkebeek. Elle accompagne et conçoit l’aménagement de jardins nourriciers et biodiversifiés.

Jardin caché, jardin protégé
J’ai rencontré Cécile un jour de brouillard. La brume était tellement épaisse que sous mon bonnet je ressentais les petites gouttes de condensation chatouiller mes joues froides. Ce jour-là m’a fait l’effet d’une balade hors du temps. Atteindre le jardin m’aura pris un peu d’efforts, le genre d’efforts que je n’ai pas à fournir quand je me déplace à Bruxelles – et c’est ce qui rend la récompense plus grande.
Après un trajet en bus, Cécile me récupère à l’arrêt, des fleurs séchées ornent son tableau de bord. Nous nous garons dans une rue résidentielle. Pour arriver au jardin, il faut traverser une petite allée de garage et contourner la maison en brique des propriétaires, Marco et Françoise.


Marco et Françoise occupent et cultivent une partie du jardin. On y retrouve les ruches de Françoise et la cabane de Marco. Le couple prête le reste de sa superficie à l’Eldoradis, un projet de maraîchage tenu par Adrien et Brigitta qui commercialisent des paniers hebdomadaires sous forme d’abonnement annuel. Au cœur de leurs préoccupations, « la relocalisation de la production alimentaire, le respect de la biodiversité et la sensibilisation du public à l’alimentation durable ». Des valeurs partagées avec Cécile, à l’origine du projet Tiers Paysage, qui rejoint le jardin en 2020 et installe ses petites parcelles, de taille réduite, qui lui permettent de travailler à la main.

Tiers Paysage ou le paysage insoumis
Le Tiers Paysage désigne, selon Gilles Clément, l’ensemble des paysages non exploités qui présentent une richesse et une biodiversité plus importante que les espaces agricoles. « Le Tiers-Paysage – fragment indécidé du Jardin Planétaire – désigne la somme des espaces où l’homme abandonne l’évolution du paysage à la seule nature. » – Gilles Clément, Manifeste du Tiers-Paysage.
Tout l’intérêt du projet de Cécile se porte sur les plantes sauvages qui poussent naturellement sans altération du territoire. « Même si on fait du maraîchage, de l’agriculture en général, respectueuse de la vie des sols, de la faune et de la flore existante, on vient quand même perturber l’équilibre en place. »

Cécile, passionnée, me détaille par le menu les étapes de ses cultures : la lasagne, par exemple, un processus permettant, entre autres, de protéger les terres de la brûlure du froid pendant l’hiver et de les nourrir naturellement. L’alternance de matières azotées à celles contenant du carbone stimulent la vie du sol et enclenchent une digestion lente qui commence à l’automne et se poursuivra au printemps pour accueillir les nouvelles graines et plants.
Pendant qu’on se balade, Cécile me fait goûter les plantes de son jardin – l’égopode par exemple, au goût marqué de céleri vient réveiller mon palais curieux. La roquette, au goût puissant, me reste sur la langue pendant quelques minutes après la dégustation. Un petit pois vient adoucir le parfum poivré de la roquette et croquer sous mes dents.


Le parcours de Cécile
Je vous invite à aller voir la page Instagram de Cécile ou son site internet et d’essayer de deviner son parcours. Lorsqu’on découvre les images de Cécile qu’elle prend au gré des jours passés à cultiver, on devine aisément un bout de chemin dans la communication. Les textes et les images impeccables, une cohérence éditoriale haut-de-gamme, Cécile a, en effet, commencé à travailler dans une agence de communication avant de se diriger vers sa profession actuelle de productrice.
« Je n’ai jamais su ce que je voulais faire donc j’ai testé plein de trucs. Un jour je me suis intéressée à la formation d’entrepreneur de jardin à l’EFP« , une formation en alternance qui permettait de continuer à subvenir à ses besoins tout en garantissant l’apprentissage d’un nouveau métier. Elle travaille donc pendant un moment pour les Terres d’Ici, une éco-farm à la Hulpe. Elle y exerce le métier de chargée de communication, tout en se formant par la même occasion aux métiers de pépiniériste et maraîchère. Elle y rencontre Brigitta et Adrien qui sont alors les premiers maraîchers à avoir rejoint le projet des Terres d’Ici.
En 2021, elle exerce le métier de maraîchère chez RadisKale, dont elle s’émancipe en novembre 2022 pour se lancer dans son projet Tiers Paysage à temps plein.

Le pouvoir de la transmission
Comment expliquer qu’aujourd’hui la soupe aux orties soit moins populaire que celle à la tomate? Comment peut-on expliquer pourquoi l’égopode, le crosne ou les fleurs comestibles soient méconnues des gens partageant leur territoire ?
Même la conservation échappe aujourd’hui à notre connaissance et le séchage, la congélation ou les plus pointus pickles appartiennent aux fins gourmets et même plutôt, aux cuisiniers désireux de développer une consommation plus responsable.
« Nos grands-mères, elles, connaissaient beaucoup de choses sur ce qui poussait dans la nature et qu’on pouvait manger », m’explique Cécile. Un peu de cette connaissance s’est échappée au cours de la transmission des générations. Depuis, « on a eu vraiment beaucoup accès à plein choses, de façon presqu’illimitée. L’intérêt pour les plantes sauvages comestibles qualifiées d’indésirables – souvent considérées invasives – a été perdu.

Selon Cécile, bien que les plantes sauvages comestibles aient gardé un intérêt médicinal, leur utilisation dans les assiettes a disparu en deux générations.
Le projet de Cécile se situe à la frontière entre la production et la sensibilisation. « Je n’avais pas juste envie de vendre des fleurs de bourrache, les vendre en barquette pour que les restaurateurs les mette sur un dessert. Au final, la plupart des gens ne savent pas que ça se mange, les mettront de côté – ce serait une décoration complètement inutile vouée à être jetée alors que l’intérêt gustatif est incroyable. L’idée c’est de montrer par exemple qu’il est possible d’utiliser la graine de plantain lancéolé et de la faire germer comme une lentille pour obtenir une minuscule plantule au goût puissant de champignon, ou d’utiliser les derniers boutons floraux de cosmos pour en faire des câpres. »
C’est pourquoi, Cécile mise sur l’intérêt que peut susciter le format court d’Instagram. Son compte lui permet à la fois de pallier la frustration de ne pouvoir accorder plus de temps à l’organisation d’ateliers mais aussi d’engager la discussion et de présenter de nouvelles façons de cultiver et de conserver les graines à un plus grand nombre. C’est aussi une manière de présenter ses expérimentations, notamment récemment, la fermentation anaérobie avec des prunes. Des ateliers en présentiel ne sont cependant pas à exclure dans le futur de Tiers Paysage.

Leçon d'humilité, leçon d'amitié
Les rencontres n’ont de cesse de se multiplier au sein du jardin et la famille de prêter main-forte – c’est le cas, par exemple, de Jean-Pierre, le père d’Adrien qui vient aider chaque semaine à l’entretien du jardin (tondre, débroussailler et même apporter les couques à toute l’équipe).
Cécile, Marco, Françoise, Brigitta, Adrien, Illaria et Fifi composent aujourd’hui une famille construite autour d’un amour partagé pour les mêmes terres. Leçon d’humilité, leçon d’amitié. La nature, avec les bons traitements, peut faire pousser les meilleurs enseignements.
Découvrez le travail de Tiers Paysage sur son site internet. Pour en savoir plus sur ses références et ses lectures, rendez-vous sur la médiathèque. Et enfin, un petit détour par le site de l’Eldoradis pour apprendre à connaître ce projet.


